Le tombeau de Prosper Mérimée à Cannes
Ecrivain, historien, juriste, musicien, helléniste, slavophone,
arabophone, anglophone, hispanophone… dessinateur, voyageur,
inspecteur des Monuments historiques, homme politique, Prosper Mérimée
(1803-1871) est un savant et un voyageur. Il grandit dans une famille
d’artistes athées. Ses parents, Léonor Mérimée (1757-1836) et Anne
Moreau (1774-1852) sont tous deux des professeurs de dessins qui
transmettent à Mérimée le goût de cet art. Tout au long de sa vie, il
esquisse, caricature et réalise des relevés d’édifices dans le cadre de
ses fonctions d’inspecteur général des Monuments historiques.
Il se montre sensible à la modernité artistique et politique. Il compte
parmi ses amis de jeunesse Stendhal, Delacroix, Musset ou encore Ingres
et affiche ses convictions libérales. Les années 1820 sont aussi celles
de ses premiers succès littéraires (Théâtre de Clara Gazul (1825), Chronique du temps de Charles IX (1829), Matteo Falcone (1829), etc.).
Il appartient donc à cette génération qui s’enthousiasme de l’avènement
de la Monarchie de Juillet. Mérimée concrétise son engagement en entrant
dans l’administration du nouveau régime dès 1831. Trois ans plus tard,
il succède à Ludovic Vitet au poste d’inspecteur général des Monuments
historiques. Le 31 juillet 1834, il part pour le Midi de la France
afin d’effectuer la première de ses nombreuses tournées à travers le
pays. Durant plus de trente ans, il est l’artisan de la construction du
service des Monuments historiques.
Mérimée à Cannes
Mérimée découvre Cannes lors de cette première tournée de 1834.
Accompagné par le professeur Fauriel, il se rend sur les îles de Lérins
pour y découvrir son patrimoine monumental. A cette époque, Cannes est
un port tout à fait modeste, inconnu des touristes. Son attention, comme
la plupart de ses contemporains amateurs d’architecture, se porte
exclusivement sur les îles de Lérins.
Sa véritable découverte de la villégiature de Cannes n’intervient que
plus tard, alors que sa santé décline. Comme nombre de personnes
souffrant d’affections respiratoires, Mérimée se voit prescrire par ses
médecins de passer l’hiver sur la Côte d’Azur. En 1856, il séjourne
d’abord à Nice puis redécouvre Cannes où il s’installe à partir de 1858.
Il vit d’abord à l’hôtel de la Poste avant de loger dans un appartement
de six pièces au premier étage de la maison Sicard (3, Square Mérimée)
qu’il occupe jusqu’à sa mort. L’académicien y habite avec deux sœurs :
Frances Lagden et Emma Evers, fidèles à la famille Mérimée depuis
l’époque où elles étaient élèves dans les cours de dessin d’Anne Moreau.
Comme à Paris, ses dames de compagnie gèrent le ménage : « A notre
âge il faut avoir plusieurs femmes qui prennent soin de vous. Ces
deux-là sont toutes bonnes, dévouées et n’ont pas peur d’un cigare »1.
Il n’est pas rare de voir les deux sœurs accompagner Mérimée en
promenade, ce qui a marqué les esprits. Un dessin de Ferdinand Bach,
conservé aux archives municipales de Cannes, témoigne non sans humour de
ces escapades.
Bien que souffrant, Mérimée n’en diminue pas ses activités. Sa
correspondance contribue à diffuser la notoriété naissante de la ville
et plus largement la mode de la Côte d’Azur. Il continue à mener une vie
mondaine (Victor Cousin, Lord Brougham, les princes russes, etc.) et
fréquente assidument la colonie anglaise à tel point qu’il dit parfois
parler plus souvent anglais que français.
Surtout, il découvre plus finement le patrimoine des alentours. Il
communique à Viollet-le-Duc les esquisses qu’il réalise, notamment de la
maison du Brigand au Cannet (inscrite au titre des Monuments
historiques en 1941).
Il est aussi le témoin des mutations que subit cette ville à la
notoriété nouvelle. En quelques années la Croisette (1860), la voie de
chemin de fer (1863), l’installation du gaz (1865) sont réalisés.
Mérimée se désole de ces paysages modifiés par le chemin de fer et par
ces constructions reproduisant le style anglais. Il s’intéresse aussi au
projet de création du canal de la Siagne décidée en 1866.
Le goût de Mérimée pour Cannes et sans doute la maladie, prolongent de
plus en plus ses séjours sur la Côte d’Azur. À Tourgueniev, il écrit le
28 février 1867 : « Lorsqu’on a passé quarante ans, il faut se tenir
au soleil le plus qu’on peut. Il n’y a pas de médecin qui le vaille. Je
serais déjà mort, enterré et remplacé à l’Académie, si je n’avais
compris la sagesse des hirondelles qui changent de pays suivant les
saisons ». Le 30 mai 1869, il rédige son testament dans lequel,
bien qu’ayant été athée sa vie durant, il exprime le souhait qu’un
pasteur luthérien assiste à son enterrement. Sensibilité spirituelle ou
élan amical, il appuie auprès du gouvernement le projet de création
d’une église anglicane.
Son état s’aggrave à l’été 1870, ce qui ne l’empêche pas, alors que la
défaite de Sedan fait tomber le Second Empire, d’aller plaider la cause
de l’Impératrice auprès de Thiers. Il revient à Cannes le 11 septembre.
Epuisé par ce voyage, Mérimée meurt le 23 septembre. Frances (dit «
Fanny ») Lagden est sa légataire universelle, étant lui-même sans
héritier « à réserve »2.
La Revue de Cannes relate son enterrement et rapporte que le cortège a été suivi par de nombreuses personnes : « son
convoi a été l’objet d’une véritable manifestation à laquelle se sont
associés les hommes de tous les partis réunis devant la mort »3.
M. Barbe prononce un éloge funèbre qui vante notamment la capacité de
Mérimée à ouvrir les portes du pouvoir parisien à la ville de Cannes. A
ce titre, il compare le sénateur à Lord Brougham comme fondateur de la
prospérité de la commune.
Le 28 mars 1891, la municipalité donne le nom de Mérimée au square situé au pied de l’immeuble où il a vécu.
En mars 1907, un premier Comité Mérimée constitué d’amis parisiens
participent à la réalisation d’une plaque commémorative apposée sur la
façade de ce même immeuble.
Le tombeau de Mérimée au cimetière du Grand Jas
Sous le Second Empire, face à la croissance urbaine, le cimetière du
Caroubier, bien que récent, devient trop étroit et se trouve désormais
trop près du centre. La commune décide la création d’un nouveau
cimetière. Le 19 juillet 1860, elle achète les propriétés des dénommés
Gilette, Roustan et Cavalier. Le 1er mars 1866, le nouveau cimetière du
Grand Jas ouvre ses portes. Il accueille logiquement de nombreux anglais
à tel point qu’un « carré » (English square) leur est dédié sous la protection du monument à Lord Brougham.